Je n’ai jamais été une petite fille
I do not have photos, stuffed animals, or notebooks of poetry from my childhood… The only thing I have left is one of dresses.
This dress is the most beautiful of that period, the one I wore to birthday parties, piano concerts. A princess or model child dress, each little girl at some point had one, or dreamt of having one.
« You want to play little girl, you will come to my place, try a child’s dress on, you will face yourself in a mirror, and you will pose in front of a white background You will look at the camera lens «

hier demain présent passé
Le texte d’Hélène Frappat « hier demain présent passé « a été écrit et présenté pour la première fois lors de l’exposition : Et les fruits passeront la promesse des fleurs, à la galerie Laure Roynette, en 2015

hier demain présent passé
par Hélène Frappat
Ma mère vit ses derniers jours dans un hôpital situé non loin de l’appartement où je ne me souviens pas d’avoir emménagé avec elle et mon père, à l’âge de cinq ou six ans.
Sa vie s’éloigne. Pour parler elle ferme les yeux. Parfois son visage s’éclaire, et sa voix revient, lorsque seule avec moi, elle prononce :
— C’est long. C’est long. C’est long.
Notre dernière conversation porte sur des vêtements. Je suis entrée dans sa chambre, et j’ai tourné autour du lit afin d’exhiber le manteau qu’une amie m’avait offert, après que j’avais choisi pour elle une garde-robe. Mon amie s’était glissée dans une blouse en soie vert profond comme on offre sa peau nue au fleuve.
Contemplant le manteau, ma mère a souri. Le lendemain, j’ai chuchoté à son oreille que mon fils aîné était parti à l’école vêtu du manteau gris qu’elle avait acheté l’hiver précédent, son dernier hiver, comme ce vêtement chaud serait le dernier que mon fils recevrait de sa grand-mère.
D’un corps à l’autre, les vêtements passent. Tels les murs des maisons ils gardent les traces.
Dans les placards de l’appartement de ma mère, je retrouve des pulls, des robes, des pantalons. Au dos d’un sweat en velours rouge, d’une jupe à pois, d’un imperméable, les griffes tranchent sur le dénuement de l’appartement et des placards. Telle robe porte l’étiquette d’une marque défunte. Tel manteau en fausse fourrure ressuscite un hiver froid des années quatre-vingt. Un cabas en plastique gris tressé convoque le fantôme de Pascale Ogier dans Les Nuits de La Pleine Lune. En 1984, inlassablement, j’avais reconstitué la garde-robe de Louise, son personnage. Je glissais des foulards dans mes cheveux crêpés. J’échangeais avec ma mère des paniers fluo tranchant sur le gris du ciel, de l’époque, des manteaux.
Chaque vêtement raconte un personnage. En échangeant nos vêtements, nos personnages, nous formions une seule femme : mère et fille, brune et blonde. Dans l’appartement de la cité triste où je ne me souviens pas d’avoir emménagé, les vêtements n’ont pas d’âge.
Je ne sais plus qui, de ma mère ou moi, s’est glissée la première dans la veste, la robe, le manteau, qu’aujourd’hui j’offre aux amies venues m’aider à faire les cartons. La garde-robe d’une fille et sa mère voyage vers de nouveaux corps, de nouvelles maisons, des récits et des personnages inconnus de moi. Nos vêtements m’échappent. Sur les épaules d’une amie, le manteau en faux léopard ressuscite la silhouette d’Elli Medeiros qui chantait dans Les Nuits de la pleine lune.
je joue mais les cartes sont marquées, les jeux sont truqués, les dés sont pipés, je ne pourrai jamais tricher, hier demain présent passé, où est passée la vérité ?
Le tombé parfait d’un perfecto sur la longue et maigre silhouette de ma mère s’adapte sans effort à la carrure plus large d’une amie, et devient sa seconde peau. Une autre transforme un chemisier austère en blouse de peintre mexicaine dont l’atelier s’ouvre sur une plage baignée des rayons roses et jaunes de la Côte Ouest.
Je rêve. Les personnages colorent mes souvenirs en noir et blanc. Je regarde s’éloigner, troublée, euphorique, légèrement réticente, une armée de vêtements par l’entremise desquels une mère et sa fille échangeaient des sentiments.
Sur d’autres corps, dans d’autres maisons, la garde-robe sentimentale de la fille et sa mère vont raconter des histoires qui ne nous appartiennent pas.